Quand le SCO entre en Coupe de France, en trente-deuxième de finale (noblesse oblige !), il est au sommet de la vague. Vague qui balaie les joueurs de Division d'Honneur de Châteaudun (5-0). En revanche, c'est encore sous le coup d'une lourde défaite à... Toulouse (5-0 également) que les Angevins doivent affronter au tour suivant le Racing. Non seulement l'adversaire est le plus prestigieux de France mais il est aussi en forme puisqu'il réalise son meilleur championnat depuis la guerre. A Nantes, sur terrain neutre comme l'exige l'usage de l'époque, les Angevins se qualifient néanmoins grâce à un petit but.
Les voici donc en huitième de finale. Sont présents quatorze clubs professionnels plus les amateurs d'El Biar, auteur au tour précédent de ce qui fut longtemps le plus grand exploit de l'histoire de la Coupe de France, l'élimination du Stade de Reims, et Denain qui pratique en championnat de Ligue. Les Angevins, chanceux, sont désignés pour affronter les Nordistes en Lorraine, à Longwy. Plus difficilement que prévu, le SCO l'emporte (1-0) et accède ainsi aux quarts de finale de la Coupe pour la première fois de son histoire. Il faut remonter à la grande équipe du C.S.J.B. en 1931 pour trouver Angers à un tel niveau.
Face à Nîmes Olympique, le SCO part favori ce 7 avril. 500 supporteurs angevins ont fait le déplacement à Bordeaux en espérant une qualification historique pour les demi-finales. Le match est d'un excellent niveau, le SCO domine territorialement mais Nîmes se montre plus percutant. Après 120 minutes, les deux équipes se séparent sans avoir marqué ; un match d'appui est nécessaire. Il a lieu à Dijon quatre jours plus tard, en présence du chanoine Kir, député-maire de la capitale bourguignonne, et d'une cinquantaine de supporteurs angevins.Cette fois, les Angevins, décrispés, démontrent sans mal leur supériorité. Ils dominent dans tous les compartiments du jeu, avec à la baguette leur stratège autrichien Kurt Schindlauer. Au terme de leur meilleur match de la saison, les Scoïstes s'imposent grâce à une reprise de volée de Biancheri (14'), à un but contre son camp de Golinski sous la pression de Le Gall (21'), à une frappe de Loncle sur passe en profondeur de Bourrigault (57') et à un but en finesse de Tison qui, lancé par l'excellent Henri Biancheri, "évite Barlaguet et s'avance calmement vers Ferrand, qui (...) doit aller chercher la balle pour la quatrième fois au fond de ses filets" (67'). Les Nîmois sauvent leur honneur par Akesbi (73').
Outre notre équipe favorite, restent en course l'Olympique Gymnaste Club de Nice, champion de France en titre, le Toulouse Football Club, vice-champion un an plus tôt, et les Girondins de Bordeaux qui sont en train de rater leur saison en deuxième division : leur tentative de remontée en D1 est sur le point d'échouer. Les Angevins espèrent que le tirage au sort leur offrira les Bordelais et à nouveau le sort leur sourit : ils sont exaucés. Face à ce qui apparaît déjà comme une finale (Nice-Toulouse), et même si Angers et Bordeaux ont la réputation de pratiquer un excellent football, l'affiche paraît certes un tantinet pâlote. Mais avec une (vraie) finale en vue, peu nous importe !
La rencontre est fixée au 5 mai 1957, à Marseille. Quatre jours plus tôt, le SCO réalise un très bon entraînement en s'imposant à Reims, 3ème du classement, en championnat ! Les Scoïstes s'installent à La Ciotat dès le 2 mai. Le jour dit, 11.000 spectateurs environs sont présents. Tandis qu'à Colombes les Toulousains créent la surprise au détriment des Niçois, les Scoïstes démarrent leur rencontre avec la peur de perdre. Le premier quart d'heure est catastrophique ; heureusement, Unzain le Paraguayen, Crockett et Guillas échouent dans leurs tentatives. A la19', « Le Gall, lancé par Tison, fait un bon centre ; Loncle arrive en même temps que Bernard qui, gêné, ne peut repousser bien loin ». La balle arrive « dans les pieds de Kurt (sic) dont la reprise s'envole malheureusement dans les nuages ». Chose classique, le public a pris fait et cause pour le petit, en l'occurence Bordeaux. Il conspue l'arbitre, coupable selon lui d'avoir oublié deux penalties (pour une prétendue main de Sbroglia et pour un soi-disant ceinturage de Wozniesko par Fragassi) ; par dessus le marché, il siffle la mi-temps alors qu'un Bordelais s'apprête à tirer un corner !
La mi-temps est bénéfique au SCO. « Les avants angevins ayant cette fois le coup d'envoi, s'infiltrent dans le camp adverse. Tison, en position de centre-avant et en possession de la balle, lance fort opportunément Loncle, qui déborde son arrière et centre. Le Gall, rabattu au centre, réceptionne ce centre avec adresse et bat Bernard sans rémission ». On joue depuis vingt secondes ! Les 45 minutes suivantes ne sont pas fameuses mais la victoire angevine, à nouveau conquise par un seul but, apparaît tout de même méritée. Tout à leur bonheur d'accéder à la magie d'une finale de Coupe de France, les Scoïstes portent Le Gall en triomphe !
La prestigieuse finale, qui a lieu trois semaines plus tard, soit le dimanche 26 mai, suscite évidemment une grande ferveur à Angers. Un train spécial est organisé ; il faudra finalement en affrêter un second. Sans parler des cars ! Le club se plaint auprès de la F.F.F. du peu de places qui lui sont allouées et obtient gain de cause. Le maire Victor Chatenay et le préfet assisteront au match. Le SCO reçoit le soutien du grand écrivain Hervé Bazin. Il a également les honneurs de la radio : le 22 mai, une émission en duplex avec les deux équipes est enregistrée par Europe N°1 pour être diffusée le matin du match. Le samedi soir sur Paris-Inter, le célèbre Georges Briquet anime une grande émission sur la Coupe de France avec Roland Mesmeur et Thierry Roland.
Après avoir annoncé qu'il ne serait présent qu'à la fin de la finale, en raison de la crise ministérielle du moment, le président Coty est présent dès les cérémonies et se fait ainsi présenter l'équipe angevine par son capitaine Jules Sbroglia tandis que le protocole est pris au dépourvu. Les Noirs-et-Blancs sont tous là. Ou plutôt les Tangos-et-Noirs car, pour éviter la confusion avec le blanc-et-rouge des Toulousains, l'arbitre anglais Mr Clough (une première) a exigé que les Angevins adoptent leur tenue de réserve.
Attardons-nous un instant sur ces Angevins :
Premier rang, de gauche à droite :
Deuxième rang, de gauche à droite :
De toute évidence, les Scoïstes sont tendus par l'enjeu. Depuis trois semaines, ils ont souvent joué cette finale dans leur tête : Metz en a d'ailleurs profité pour arracher son maintien par une victoire finale 3-0 à Bessonneau la semaine précédente. Jules Sbroglia a mal dormi et il apparaît très vite qu'Eugène Fragassi n'est pas dans son assiette. Bref, pourtant débarassés de l'étiquette de favoris, les Angevins ne sont pas au meilleur de leur forme au moment du coup d'envoi sifflé devant plus de 43.000 spectateurs.
Dès la 10', "Bouchouk servi par Cahuzac centre sur la tête de Di Loretto ; trois Angevins se précipitent (vers l'attaquant toulousain) car le danger repose sur lui mais ils se gênent, il amortit tranquillement de la tête pour glisser à Dereuddre, démarqué". Et c'est l'ouverture de la marque. Les Scoïstes commettent alors l'erreur de monter à l'attaque en se découvrant devant des attaquants beaucoup plus rapides qu'eux. Et le sort, hélas, penche en leur défaveur : à la 22', Di Loretto, meilleur homme du match, évite l'égalisation en dégageant en corner. Dans la minute suivante, Dereuddre double la marque par une reprise de volée. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, Bouchouk ajoute un troisième but à la 28'. 3-0 après moins d'une demi-heure, l'addition est lourde et on pourrait croire le match joué. C'est sans compter sur le courage des Angevins qui, malgré tout, ne s'avouent pas vaincus, d'autant qu'ils ont déjà failli marquer sur une frappe sèche de Tison à la 26'. Sur une passe de Le Gall, Biancheri "décoche un très beau tir de volée contre lequel Roussel ne peut opposer qu'une esquisse de parade" et c'est le but (35'). Quelques minutes plus tard, Loncle manque de peu un magnifique but sur "un retourné de grande classe". A la mi-temps, le SCO est certes mené 3-1 mais il aurait pu égaliser. Et il aura désormais le vent dans le dos.
Le score ne change pas pendant le premier quart d'heure de la seconde période. A l'heure de jeu, Hnatow expédie un tir violent dans sa foulée mais à la surprise générale Roussel parvient à le stopper impeccablement. Et à la 61', c'est le Toulousain Bocchi qui corse l'addition d'un tir croisé à ras-de-terre. A 4-1, les carottes semblent cuites. Pour ajouter aux malheurs des Angevins, Sbroglia est blessé dans un choc avec Bouchouk (70'). Tandis qu'il se fait soigner sur la touche, un but est refusé aux Scoïstes pour une main commise par le défenseur Bocchi ! Sbroglia rentre et, à cette époque où l'on n'effectue pas de remplacements, se retrouve cantonné à l'aile droite. C'est pourtant lui, l'éclopé, qui sonne le réveil des espoirs angevins : sur un centre de Biancheri, il parvient à envoyer un tir cadré que dévie le défenseur Boucher : 4-2. Il ne reste que sept minutes à jouer mais dans une finale aussi folle tout est possible. Malheureusement, le SCO est à nouveau trahi par l'inhabituelle fébrilité de son portier : sur un tir de Bouchouk, Fragassi plonge, arrête mais relâche à deux mètres et Di Loretto inscrit le cinquième but toulousain (85'). Trois minutes plus tard, Bourrigault perce et marque, le SCO revient à 5-3. Et dans cette rencontre totalement débridée, Brahimi clôt la marque à la 89'. Toulouse remporte la Coupe de France sur la marque inédite (et inégalée) de 6 à 3.
Certes, la victoire n'est pas usurpée : les Toulousains étaient les plus forts. Cependant, les Angevins peuvent nourrir beaucoup de regrets. Ils ont beaucoup attaqué (11 corners à 6) mais, trop tendus, avaient perdu le match dans la première demi-heure et n'ont pas joué sur leur vraie valeur. A la notable exception d'Henri Biancheri toutefois, qui "par ses ouvertures intelligentes créa de nombreuses occasions pour ses partenaires", "ne perdit jamais son calme et afficha le plus de maturité". Tison fut toujours remuant, Loncle "joua avec le calme et l'autorité d'un vieux briscard". "Hnatow travailla énormément mais fut moins efficace que d'habitude pour contrecarrer l'adversaire". "Le Gall se battit sans cesse, ne rechignant pas à se replier, fut le plus percutant mais manqua deux fois l'égalisation en n'ajustant pas assez sa frappe". "Bourrigault tira son épingle du jeu mais ne surveilla pas assez Dereuddre". "Schindlauer, à court de forme, ne fit pas un mauvais match mais ne fut pas à la hauteur de Biancheri". "Sbroglia fut complexé par Di Loretto, un joueur qui ne lui a jamais réussi". "Kowalski et Pasquini furent dépassés par le démarrage et la rapidité d'exécution des ailiers Brahimi et Bouchouk qui apportèrent cinq des six buts toulousains". Enfin, "Fragassi était dans un mauvais jour : il était mal placé sur le deuxième but et réagit trop tard sur le cinquième".
Pour finir, l'analyse dressée par le très sérieux journal "Le Monde" est sévère mais porteuse d'espoirs : "Le SCO, équipe encore trop tendre pour de si grandes rencontres, possède dans son sein les moyens de progresser sensiblement. (...) Jouer la finale de la Coupe de France moins d'un an après avoir accédé à la division nationale n'est pas un exploit à la portée de n'importe quelle équipe. Lorsque les joueurs d'Angers auront dépouillé quelque peu leur style "académique", un peu trop "autrichien" pour être efficace, lorsque Tison, Bourrigault, Loncle et Le Gall auront acquis la maturité, l'esprit de décision et pour tout dire la maîtrise de leur vis-à-vis, les Angevins auront alors l'une des toutes premières équipes françaises."
Les citations sont extraites d'articles d'époque, généralement du Courrier de l'Ouest.
Départs : Michlowski (entr., Lens), Moureau (Nancy), Walter (Sedan)
Arrivées : Guidoni (Grenoble), Hnatow (Stade français), Konrady (Lyon), Loncle (Saint-Malo), Obed (Audin-le-Tilche)
Effectif : Biancheri, Bourrigault, Camoin, Fragassi, Friedrich, Guttowski, Jackstell, Kowalski, Krislack, Le Gall, Pasquini, Sabourault, Sbroglia, Schindlauer, Tison
© Olivier Moreau 2002